Des terriens tournés vers la mer
Les métiers de consignataire, de manutentionnaire, de docker, de grutier portuaire ou de chef d’escale ne s’apprennent que sur le tas et ne sont en quelque sorte pas prévus par les filières de formation. Ce sont des métiers vécus à terre, mais qui subissent les aléas de la mer. Les agents chargés du ménage à bord des ferries - lors des escales - sont soumis au rythme des rotations, tôt le matin, au beau milieu de la journée et tard le soir. Mais il leur est également demandé de rester joignables en permanence afin de pouvoir étre prévenus de l’éventuel retard d’un ferry. Alors que les marins trouvent dans les ports une vie plus proche de la terre, les terriens s’éloignent des conditions ordinaires d’un métier à terre et sont dorénavant liés à la mer et à ses exigences.
Des marins tournés vers la terre
Les marins ou anciens marins qui travaillent aujourd’hui sur les ports de Caen-Ouistreham et de Cherbourg ont réorienté leurs carrières maritimes. Parmi ces marins portuaires, certains continuent à naviguer comme les équipages des remorqueurs, des ferries, de la station de pilotage alors que d’autres n’embarquent plus, tels les officiers de port et les lamaneurs. C’est généralement en fin de carrière qu’ils ont choisi d’intégrer un nouveau corps de métier un peu plus proche de la terre que celui qu’ils avaient épousé auparavant.
La motivation principale est d’ordre familial. Pour se rapprocher de la terre, sans tout à fait quitter leur univers de prédilection, le port peut appara$icirc;tre comme un bon compromis. Il ne s’agit cependant pas de devenir un terrien. Qu’ils aient été marins pécheurs, marins de la marine nationale ou marins de commerce, une des spécificités de leurs précédents métiers résidait dans la répétition d’absences plus ou moins prolongées du foyer familial. Ainsi, la vie portuaire les rapproche de la terre, mais les oblige tout de méme à conserver un lien très fort avec la mer et ses impératifs.
Convergence de carrières maritimes
Les
routes maritimes des marins portuaires ont parfois été similaires, parfois singulières, mais toutes convergent aujourd’hui vers l’espace portuaire. Les héros du
long cours, si valorisés dans les représentations collectives, souffrent souvent d’un manque de reconnaissance en tant que marins portuaires. Certains rejettent méme cette dénomination. Pourtant, ils le disent eux-mémes, au sein d’un port, tous deviennent des manoeuvriers.
Or, il n’y a rien de plus difficile que de manœuvrer un navire dans un espace aussi réduit qu’un port. Et rien de plus compliqué que de naviguer sans cesse entre le rythme de la mer et celui de la terre.
Peu de marins portuaires ont eu l’occasion d’accompagner un collègue exerçant un autre métier que le leur au sein du port. Cependant, une mise en perspective quotidienne des différents métiers du port les conduit à se forger des représentations plus ou moins partagées des métiers des uns et des autres. à raison de six manœuvres par jour, les marins des ferries sont eux aussi des marins portuaires, mais ne rencontrent que très peu les autres acteurs portuaires. La taille et le luxe de leurs navires, peut-étre, leur confèrent souvent une image plus clémente aux yeux des uns alors que d’autres évoquent la monotonie des rotations, la navigation presse-bouton disent-ils. Les équipages des bateaux de travaux que sont les dragues par exemple, pâtissent du décalage entre une perception négative de leur métier et une difficulté technique considérable. Les pilotes sont souvent perçus par les autres acteurs portuaires comme les seigneurs du port. Là encore, la taille des navires, la difficulté évidente des manœuvres jouent un rôle important. Mais plus encore, le caractère inaccessible et le mystère entourant leur métier actuel ainsi que leurs carrières antérieures participent certainement à cette valorisation. Très peu d’acteurs portuaires ont eu la chance d’accompagner un pilote à bord d’un cargo, mais je crois pouvoir affirmer que tous en révent, depuis les marins patentés jusqu’aux terriens n’ayant jamais quitté les quais. Les pilotes de Caen notamment restent malgré tout particulièrement humbles, invoquant la chance (!) pour expliquer leurs impressionnantes manœuvres.
Au sein de chacun des métiers (ou presque) et des univers de travail du port - prise en charge des cargos, prise en charge des ferries, entretien du port, ... - des marins issus de la marine nationale, de la marine marchande ou de la péche travaillent désormais ensemble. Chacun effectue un pas vers l’autre pour permettre aux différents services de fonctionner, sans pour autant renoncer à son identité première. Si les marins de la marine nationale continuent à parler de pointe, les marins de la marine marchande parlent d’amarre de bout, mais tous se comprennent. L’espace portuaire leur offre la possibilité de se confronter à des cultures maritimes différentes de celle qui les a forgés.